Délinquance et bilinguisme

Les jeunes étrangers sont délinquants parce qu'ils parlent leurs "patois" : Un cas de racisme intellectualisé et d'impéritie caractérisée.

A cours d'arguments pour accabler les boucs-émissaires des maux de la société française, certains parlementaires n'ont pas hésité à établir un lien de causalité entre bilinguisme et délinquance. Drôle de posture intellectuelle qui se veut scientique mais qui ne résiste pas à l'entêtement de la réalité.

Que les communautés françaises d'origine étrangère soient offertes en pâture au grand public par les hommes politiques, rien de nouveau. Les preuves - indigentes et fallacieuses - sont déclinées à satiété : chômage, crise du logement, abîme de la sécurité sociale, gouffre des caisses d'allocations familiales, etc. En 2004, des parlementaires ont innové avec un sadisme vomitif en réactivant des théories que seul Bernstein avait défendu dans les. Il s'agissait à cette époque d'établir un lien de causalité entre l'appartenance raciale et la maîtrise du langage. Ce brave Bernstein était parvenu alors à la conclusion que les Noirs possèdent un "code restreint" contrairement aux Blancs dotés d'un "code élaboré."
La théorie développée dans le rapport parlementaire par la Commission Bénisti - présidé par Monsieur Jacques Alain Bénisti, maire UMP de Villiers-sur-Marne - pose pour vraie que "le bilinguisme est le lit de la délinquance chez les populations immigrées." En d'autres termes, c'est parce que les enfants d'origine immigrée parlent leurs "patois" (sic) qu'ils finissent par tomber dans la délinquance. L'analyse serait fondée sur une théorie qui se prétend scientifique même si aucun des membres de la commission, monsieur Bénisti le premier, ne connaît rien ni du bilinguisme encore moins des langues africaines. Ainsi à l'occasion d'une interview accordée à Afrik.com le mardi 15 mars 2005 par le député, ce dernier a parlé de "gambara" avant que le journaliste ne rectifie "bambara." Curieux, non ! Une théorie qui ignore son propre objet de questionnement. Une courbe, intitulée "Courbe évolutive d'un jeune qui au fur et à mesure des années s'écarte du'droit chemin' pour s'enfoncer dans la délinquance", trace avec une exactitude aussi mathématique que diabolique le processus de l'entrée en délinquance de l'enfant africain.
La courbe suit un mouvement ascendant en établissant un rapport systémique entre l'âge et la nature de la délinquance. La variable explicative reste la même : l'emploi des langues d'origine.
0 à 3 ans : premières années sans problème ;
4 à 6 ans : difficultés de la langue + comportement indiscipliné ;
7 à 9 ans : accentuation des problèmes de la tranche 4-6 ans + marginalisation scolaire + démission ou non maîtrise de l'éducation des parents + pas d'activités pré ou post scolaires ;
10 à 12 ans : aggravation des problèmes de la tranche 7-9 ans + violence à l'école, redoublements des classes + début des petits larcins + conflits parentaux accentués et développement de la marginalisation ;
13 à 15 ans : entrée dans la délinquance avec des vols à la tire. Début de la consommation des drogues douces + absences répétées aux cours + toujours aucunes activités pré ou post scolaire ;
16 à 18 ans : consommation de drogues dures + cambriolages + vie nocturne et utilisation d'armes blanches ;
19 à 23 ans : entrée dans la grande délinquance + trafics de drogues, vols à main armée.
On ne peut qu'être frappé par le simplisme diabolique d'un tel schéma. Il met en lumière d'abord la méconnaissance des problématiques du bilinguisme chez les membres de la commission parlementaire. Tous les universitaires ayant travaillé sur l'acquisition langagière ou la bilingualité partagent les mêmes conclusions que rappelle Martin Beaudoin (1998) : à l'âge de cinq ans, l'enfant a appris l'ensemble de sa langue maternelle ; la majeure partie des apprentissages se font entre la naissance et trois ans. Ces observations montrent le caractère arbitraire des tranches d'âge retenues par les parlementaires. En effet, si ce sont les langues ancestrales qui sont mises en cause, alors leur interdiction devrait intervenir dès la naissance de l'enfant. En d'autres termes, l'interdiction de parler sa langue d'origine devrait frapper tous les étrangers adultes vivant en famille. On se demande alors comment l'éducation nationale devra résoudre le paradoxe que couve l'enseignement de langues étrangères et leur interdiction précoce. Mais qu'on ne se fass

Bernard Zongo

Biographie
BEAUDOIN M., 1998, Introduction à l'étude du langage, LINGQ 200, Université d'Alberta
BÉNISTI (rapporteur), octobre 2004, Rapport préliminaire de la commission Prévention du groupe d'études parlementaire sur la sécurité intérieure - Sur la prévention de la délinquance, 60 pages - rapport remis à monsieur le Premier ministre, Dominique de Villepin en octobre 2004.
ZONGO B., 2004, Le Parler ordinaire multilingue - Ville et alternance codique, Paris, L'Harmattan, 284 pages


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